mardi 26 février 2013

Higgs, nouvelle physique et stabilité du vide


Bien qu'attendue depuis longtemps, la découverte récente d'une nouvelle particule "compatible" avec le boson Higgs est une avancée majeure pour la physique des particules, qui apporte sont lot de réponses mais aussi d'interrogations sur la description théorique des phénomènes mis en jeu.

Les deux expériences ATLAS et CMS ont fait preuve de prudence en n'annonçant pas la découverte du boson du Higgs, mais d'une particule ayant une masse proche de 125 GeV et compatible avec un boson de Higgs. Chaque mot est ici pesé de façon à préserver toute la rigueur scientifique sans céder à la tentation d'aller trop vite dans l'interprétation des résultats.

Candidat Higgs se désintégrant en 4 électrons, enregistré par l'expérience ATLAS en 2012
Depuis la découverte annoncée à l'occasion de la conférence ICHEP 2012 à Melbourne, l'accélérateur LHC a parfaitement fonctionné et a permis aux expériences de presque tripler le nombre de collisions enregistrées. Cette augmentation de la statistique accumulée est  très importante afin de préciser les caractéristiques de la particule observée, donc de vérifier s'il s'agit bien d'un boson de Higgs et si oui, de préciser s'il est standard ou non. En effet, le mécanisme de Higgs est assez général, et des extensions  du modèle standard de la physique des particules prévoient l'existence d'autres bosons de Higgs. C'est le cas notamment des théories Super-Symétriques (connues aussi sous l'acronyme SUSY) qui prédisent l'existence de tout un ensemble de nouvelles particules, dont l'une d'entre-elles, massive,  stable et  n'interagissant quasiment pas avec la matière ordinaire, pourrait constituer la matière noire de l'univers.

La plus évidente des caractéristiques, puisque c'est celle qui permet de mettre en évidence son existence, est sa masse. Pour des raisons de cohérence du modèle théorique, la masse ne peut être ni trop petite, ni trop grande. La masse mesurée proche de 125 GeV est un peu faible et cela a des conséquences sur lesquelles je reviendrai dans la suite.

Une autre caractéristique essentielle du Higgs  standard est d'être un boson scalaire, ces deux termes font référence à des propriétés quantiques de la particule; le spin et de la parité. Le spin est une quantité physique (moment angulaire intrinsèque) qui n'a pas de contrepartie en physique classique, il a une valeur entière pour les particules dites bosons et demi-entière pour les fermions. Fermions et bosons ont des comportements physiques très différents, par exemple, les particules élémentaires constituant la  matière ordinaire sont des fermion de spin 1/2. Les particules médiatrices des forces fondamentales : électromagnétique (photon), faible (W et Z)  et forte (gluons), sont des bosons de spin 1. Le boson de Higgs doit donc avoir un spin entier (c'est un boson) et nul (il est scalaire).
Pour identifier le spin d'une particule, il faut observer ses différents modes de désintégrations et mener des analyses statistiques sur la topologie des interactions enregistrées (ce qui revient à mesurer certains angles dans des référentiels bien choisis). Le mode de désintégration de la nouvelle particule en deux photons a été clairement identifié, ceci montre qu'il s'agit bien d'un boson de spin 0 ou 2 (le spin 1 étant exclu en raison de l'absence de masse du photon). Les analyses angulaires menées par les deux expériences ATLAS et CMS excluent l'hypothèse "spin 2" avec un niveau de confiance de plus de 90%.

La parité est une opération de symétrie qui inverse les coordonnées spatiales  (symétrie miroir). Dans le cadre de la mécanique quantique, les particules élémentaires possèdent une parité intrinsèque qui peut être soit positive, soit négative. Le boson de Higgs standard est un scalaire, il doit donc avoir une parité positive  (une particule de spin 0 et de parité négative est qualifiée de pseudo-scalaire). Là encore, des mesures sur la topologie des interactions compatibles avec la présence de la nouvelle particule, montrent que la parité positive est favorisée par rapport à la parité négative.

Les mesures de spin et de parité montrées par ATLAS et CMS à l'occasion du conseil du CERN du 12 décembre 2012 ne permettent pas encore de trancher avec certitude, mais montrent tout de même de sérieuses indications en faveur d'un spin 0 et d'une parité positive). En résumé, aujourd'hui, avec la statistique analysée,  nous sommes en présence d'un nouveau boson scalaire de masse proche de 125 GeV et dont les modes de désintégrations correspondent à ceux d'un Higgs standard. Certaines petites déviations existent (on parle de "tensions" dans le jargon des physiciens des particules), mais ne sont pas significative sur le plan statistique. Il s'agit essentiellement de la masse du boson mesurée par ATLAS qui est différente dans le canal de désintégration en deux photons (126.6 GeV) par rapport au canal en 4 leptons (123.5 GeV) et du taux de désintégration du Higgs en deux photons qui est un peu élevé pour les deux expériences. Donc pour le moment la nouvelle particule découverte ressemble vraiment beaucoup à un Higgs parfaitement standard.

Bien qu'elle semble être une confirmation éclatante de la justesse des prédictions des  théoriciens qui ont postulé le mécanisme de Higgs, cette situation est  un peu surprenante et quelque peu frustrante. En effet, pour l'instant pas de signe de SuperSymétrie, pas de traces de nouvelle physique ; rien qui puisse orienter les théoriciens vers une extension du modèle standard de la physique des particules. Par ailleurs, les résultats récents del'expérience LHCb qui a mis en évidence pour la première fois la désintégration rare du Bs (particule formée d'un quark b et d'un quark s) en deux muons, portent aussi un coup aux espoirs de détecter quelque chose de nouveau. Ce mode de désintégration très rare (environ 3 désintégrations sur un milliard)  est sensible à des processus quantiques virtuels (c’est-à-dire des processus intermédiaires au cours desquels des particules lourdes peuvent se manifester pendant un temps extrêmement court et influer sur les taux de désintégration) pouvant mettre en jeu des particules exotiques comme des bosons de Higgs supplémentaires. Or, aux incertitudes de mesure près, le taux de désintégration mesuré est parfaitement compatible avec les prédictions théoriques standards.

Est-ce à dire que la messe est dite ? Que le modèle standard de la physique des particules est inébranlable ? … pas vraiment, car il faut encore raffiner les mesures, il est possible que la nouvelle physique se cache dans des détails encore imperceptibles actuellement et qui se révèleront lorsque beaucoup plus de collisions auront été enregistrées, ou lorsque le LHC fonctionnera à une énergie plus élevée (13 ou 14 TeV au lieu de 8 actuellement).

Un point reste très troublant ; en effet,  le Higgs possède la capacité de se coupler à lui-même (autocouplage), or la faible masse du Higgs (~125 GeV) comparée à la masse du quark top (~173.5 GeV) conduit à calculer un couplage du Higgs avec lui-même qui devient négatif à haute énergie, la conséquence de ceci est que le vide devient instable à partir d'unecertaine énergie ! Le fait que nous vivions dans un univers dans lequel le vide est visiblement stable, conduit à penser qu'il existe un mécanisme de compensation non encore mis en évidence. Dans l'hypothèse peu probable où ce mécanisme de compensation n'existerait pas, il serait possible que le vide soit actuellement dans un état métastable, un peu comme un récipient d'eau refroidi en dessous de zéro degrés Celsius tout en restant liquide. Comme dans le cas de l'eau qui glace instantanément à la moindre perturbation, on pourrait alors imaginer qu'un évènement fasse basculer le vide dans un état de plus grande stabilité. La perturbation se propagerait alors dans tout l'univers à la vitesse de la lumière, balayant tout sur son passage dans une gigantesque débauche d'énergie. Une fois redevenu stable, l'univers fonctionnerait alors avec des lois physiques différentes et sans doute assez peu compatibles avec la vie telle que nous la connaissons.
Figure montrant la zone très particulière dans laquelle se situe le boson
de Higgs si on suppose que la modèle standard de la physique des
particules est valide jusqu'à l'échelle de Planck 

En conclusion, si la particule observée est bien un Higgs standard, la valeur de sa masse est vraiment très particulière, tellement particulière que cela cache certainement un mécanisme subtil non encore compris.

De nouveaux résultats sur le Higgs seront présentés le 6 mars prochain lors de la conférence de Moriond, ceux-ci seront diffusées en direct sur le Web à cette adresse