samedi 12 juin 2010

La grande saga des neutrinos (suite)

... donc, dès 1968 Davis et ses collaborateurs se rendent compte qu'ils observent environ 3 fois moins de neutrinos solaires que ce que prédisent les modèles décrivant le Soleil. La communauté scientifique est sceptique et on la comprend ! L'expérience est tellement complexe qu'il est facile de supposer que le déficit de neutrinos est dû à un biais expérimental. Mais Davis s'accroche et vérifie minutieusement tout le protocole expérimental. Les expériences se succèdent, les techniques s'affinent, les modèles solaires également... le déficit est toujours là et petit à petit la communauté se convainc qu'il y a bien un problème.

Dans les années 80 plusieurs expériences cherchent à mettre en évidence la désintégration du Proton, là encore, il faut placer d'énormes détecteurs au fin fond de mines ou de tunnels, pour les protéger du rayonnement cosmique. Le Japonais Masatoshi Koshiba est le concepteur de l'expérience KamiokaNDE, initialement destinée à la traque de la désintégration du Proton, est également capable de détecter les neutrinos solaires. Lorsqu'il a rédigé la proposition d'expérience, Koshiba avait écrit à tout hasard que si une supernova explosait dans notre galaxie ou sa proche banlieue, le détecteur serait capable de détecter le flux de neutrinos associé. Bingo ! La supernova 1987A explose et plusieurs détecteurs dont Kamiokande détectent une petite bouffée de neutrinos. Fort de ce succès, le Japon se lance dans la construction d'un détecteur 15 fois plus gros: Super Kamiokande ou plus simplement Super-K qui est mis en service en 1996.

Super-K, en plus des neutrinos solaires est également sensible aux neutrinos atmosphériques. Ces derniers proviennent de la désintégration des muons, eux-mêmes issus de l'interaction des rayons cosmiques dans l'atmosphère. Les neutrinos atmosphériques traversent la Terre, un petit nombre interagissent près du détecteur Super-K et ce dernier voit un muon qui semble provenir de la Terre (il se propage du bas du détecteur vers le haut), cette signature très particulière permet d'identifier les neutrinos atmosphériques sans ambigüité. En 1998 le résultat tombe: Super-K observe un déficit de neutrinos atmosphériques.

Les neutrinos sont donc bien bizarres; les neutrinos électroniques du Soleil disparaissent, il en est de même des neutrinos muoniques de l'atmosphère. Les phénomènes physiques créant ces neutrinos sont complètement différents, le flux de rayons cosmiques est parfaitement connu, la raison du déficit observé est donc lié à la nature même des neutrinos et non pas à la source qui leur donne naissance. Curieusement ce double mystère est la clé qui permet de rassembler les pièces du puzzle.

Nous l'avons vu précédemment, les neutrinos existent sous trois formes appelés "saveurs": électroniques, muoniques et tauiques. Grâce à un phénomène purement quantique, les neutrinos, lors de leur propagation, peuvent se transformer d'une saveur vers une autre. Un neutrino électronique du Soleil va ainsi se transformer en neutrino muonique puis redevenir un neutrino électronique ou se retransformer en neutrino tauique et ainsi de suite. C'est ce qu'on appelle le phénomène d'oscillation des neutrinos.

Le détecteur de Ray Davis n'étant sensible qu'aux neutrinos électroniques, celui-ci ne verra pas les neutrinos qui se sont transformés et observera donc un déficit de neutrinos. De même pour les neutrinos atmosphériques (de type muonique), une partie de ceux-ci se transforment au cours de la traversée de la Terre en neutrinos tauiques et ne sont pas vus par Super-K. L'existence de ce phénomène mis en évidence sans ambigüité par Super-K en 1998 pour les neutrinos atmosphériques, puis par le Sudbury Neutrino Observatory (SNO) en 2001 pour les neutrinos solaires, prouve que les neutrinos ont une masse. En effet, le phénomène d'oscillation est impossible pour des neutrinos de masses nulles.

Ces résultats sont expérimentalement très intéressants, mais ils sont malheureusement basés sur la disparition des neutrinos, c'est-à-dire sur leur non-détection, ce qui est toujours moins convaincant qu'une observation positive. L'expérience OPERA, installée dans le tunnel souterrain du Gran-Sasso dans les Abruzes en Italie, a pour but de détecter les oscillations de neutrinos par apparition. Pour cela, le CERN, à partir d'un faisceau intense de Proton bombardant une cible, fabrique un faisceau de neutrinos muoniques qui est dirigé, à travers la croute terrestre vers le détecteur OPERA situé 730 km plus loin au Gran Sasso. En raison de la rotondité de la Terre, le faisceau s'enfonce à plus de 11 km en dessous de la surface avant de ré-émerger dans le tunnel. Le CERN envoi e cent milliard de neutrinos muoniques par jour vers OPERA, l'expérience espère détecter entre 10 et 20 neutrinos tauiques correspondants a un changement de saveur en cinq ans !

Très récemment la collaboration OPERA a publié l'observation du premier candidat neutrino tauique. L'image ci-dessous est la représentation graphique de l'interaction du neutrino tauique dans un élément de détecteur. La petite trace 4 est identifiée comme le lepton tau qui se désintègre très rapidement en donnant la trace 8. L'angle bien marqué entre les traces 4 et 8 constitue la signature très claire qui est attendue pour une interaction de ce type.



OPERA doit maintenant confirmer cette indication par l'observation de nouvelles interactions du même type, il sera alors possible d'en déduire certains paramètres fondamentaux du phénomène d'oscillation.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire